Le 21 juin 1982 : la France au diapason de la musique

21 juin 1982. 20h30. Dans la galerie de la Cour d’honneur du ministère de la Culture ; le ministre Jack Lang ouvre le bal en jouant quelques notes au piano accompagné d’un trompettiste. La première Fête de la musique est lancée, avec comme slogan « faites de la musique ! ».

Le signal est lancé

Dans toute la France, à la même heure, on souffle, on gratte, on tapote et les premières notes s’échappent des instruments. Pendant une demi-heure, tous ceux qui font de la musique sont invités à descendre dans la rue ; qu’ils soient amateurs, professionnels, étudiants en conservatoire ou en école, membres d’orchestres ou de groupes de rock, de fanfares, de chorales, tous sont invités à annoncer le début de l’été.

À Paris, près de cent vingt lieux ont été recensés : on joue de la guitare et de l’harmonica dans le square Montholon, de la trompette et de l’orgue à la basilique Notre-Dame-des-Victoires, de l’opéra sur le quai de Jemmapes. Les professionnels de la musique se sont joints à la fête ; après quelques négociations, l’Opéra de Paris et l’Orchestre philarmonique de Strasbourg ont accepté de jouer gratuitement à condition de se produire à l’extérieur de leur bâtiment, sur leur parvis.

De nombreux lieux populaires sont investis : Gare d’Austerlitz, une formation de séniors joue de la musique classique ; place de la Bastille, des rockeurs se déchaînent au son de leurs amplis ; place de la République un « Vauban de la stéréo » y a érigé de « hautes murailles […] sonores » ; et rue de Rivoli, un soliste à la batterie exécute des moulinets avec frénésie.

 

Tout un pays en effervescence

Les régions ne sont pas en reste, une multitude d’événements ont été organisés dans les communes, villages, et villes. Cinq-mille fanfares et harmonies se sont préparées dans tout le pays. Tous les styles de musique sont présents, amateurs et professionnels de tout âge se mélangent :

« Prenons au hasard : à Besançon, tous les carillons de la ville sonneront à 20 h 30. À Brest, quinze groupes de musiciens se produiront sur la place de la Liberté. À Metz, l’Institut de musique ancienne animera les rues piétonnes, tandis que le Centre expérimental de recherche se produira rue des Clercs et l’Orchestre philharmonique de Lorraine au centre commercial de Saint-Jacques. À Toulouse, ville de la musique, la fête commencera à 18 heures, avec un orchestre féminin au kiosque à musique, puis à l’aéroport, puis place Occitane. Des groupes de rock offriront des soirées portes ouvertes dans leurs garages. Jazz et Blue Grass seront dans les rues, et le conservatoire place Wilson ; l’Orchestre du Capitole jouera en petites formations. À Taverny (Val-d’Oise). L’Ensemble instrumental de l’école de la ville donnera un concert ambulant sur un char qui traversera la ville... » **

 

La gratuité comme mot d’ordre

Les formations musicales, les plus prestigieuses comme les plus institutionnelles, sont appelées à jouer pour tous et gratuitement, afin de faire connaître et de partager leur passion pour la musique en-dehors des circuits conventionnels. La Sacem a même décidé de suspendre pour une journée la perception des droits de reproduction pour les concerts gratuits.

Le ministère de la Défense a été particulièrement sollicité avec ses nombreux orchestres militaires présents dans les quatre armes ; « l’appel du 21 juin » a été entendu : au Champ-de-Mars, la fanfare de la Garde républicaine claironne à pleins poumons. L’archevêché de Paris a incité tous les diocèses à participer à la fête. Les gardiens de la paix sont aussi au rendez-vous :

            « 20 h 15, parc Montsouris. Le kiosque s’apprête, dans un grand bruit de chaises remuées. Venus habillés “en bourgeois”, avec chacun son instrument caché dans un sac, les trente et quelques musiciens de l’Harmonie des gardiens de la paix disparaissent, pour revenir l’instant d’après, jaillis d’un camion gris qu’on n’avait pas vu, vêtus de leur tunique blanche sur pantalon marine des grands jours d’été. “Nous jouerons pendant une heure, précise leur chef. Pour commencer, une marche militaire, mais tout à fait charmante...”. » *

 

Jusqu’à 21h et au-delà…

La Rue de Valois avait annoncé lors de sa conférence de presse que la Fête de la musique ne devrait durer qu’une demi-heure ; cependant, devant le succès de l’événement, un délai est accordé. La Fête s’enfonce dans la nuit et l’ambiance festive se déploie, une population inattendue est venue participer aux réjouissances :

« Or, l’élément cocasse est que le soir de la première Fête de la musique, la France bat le Koweït au premier tour de la Coupe du monde de football en Espagne par quatre buts à un. L’une des scènes décrites fréquemment dans les journaux les jours qui suivent est ainsi celle des supporters de l’équipe de France qui, après s’être abstenus de participer à la fête, sortent finalement dans les rues de la ville à la fin du match, habillés et maquillés aux couleurs de leur équipe, chantant l’hymne national et s’associant ainsi aux musiciens amateurs. »***

 

Enfin, vers 22h30, un curieux se glisse dans les locaux de RTL pour y jouer les dernières notes de la Fête de la musique en plein milieu du journal du soir. En ce 21 juin 1982, la musique a envahi les rues et les ondes !

Le slogan de cette 40e édition de la Fête de la musique est « refaites de la musique ! » : un clin d’œil complice à celui de 1982, « faites de la musique », qui vient souligner un fort attachement à l’esprit initial de cet événement.

 

 

* J.-M. Durand-Souffland, « Kiosques, rock et beaux quartiers », Le Monde, 23 juin 1982.

** Catherine Humblot, « La fête du 21 juin. Toute la France à la même heure », Le Monde, 21 juin 1982.

*** Charitini Karakostaki, « La fête de la musique, la plus anciennes des “fêtes nouvelles” », Fondation Jean Jaurès, 2019.